Dix paroles, réduites au silence ?
Pour certains, elles sont associées aux souvenirs d’un catéchisme suranné, pour d’autres, elles évoquent des images guère plus récentes – Charlton Heston brandissant des tables de pierre – ; les dix paroles, plus communément appelées dix commandements, ont-elles toujours droit de cité en France ? Auront-elles par exemple une petite place dans la morale laïque dont on annonce le retour à l’école, ou bien resteront-elles confinées dans le silence des livres religieux ? Le récent tollé suscité par la poursuite en justice des campagnes publicitaires d’un site de rencontres extraconjugales par les Associations Familiales Catholiques, peut nous le laisser craindre… « Censure, atteinte à la liberté d’expression », crient les uns ; « défense des familles et du code civil », argumentent les autres… La liberté aurait-elle la prétention de régner en maître sur toute valeur ? Mais l’essentiel n’est pas là.
Dans les dix commandements que la liturgie nous permet de réentendre aujourd’hui, on n’entend pas une seule fois le mot liberté. Pourtant, c’est bien la liberté qui est visée par ces paroles. En effet, elles sont adressées à un peuple qui vient d’être libéré de l’esclavage ; et c’est justement pour que cette liberté acquise au prix du sang ne soit pas gâchée que Dieu donne à son peuple les conditions précises de son épanouissement. Le jour du Sabbat par exemple, n’est-il pas le jour de la liberté par excellence ? Mais alors comment en sommes-nous venus à considérer ces commandements comme des ennemis de la liberté ?
La vérité, c’est qu’ils ont toujours été insuffisants, alors que l’on a cru pouvoir s’en contenter. Jésus n’avait pourtant pas cessé de dénoncer l’hypocrisie de ceux qui prétendaient être des justes parce que respectueux des commandements. Or, on n’est pas juste seulement en se gardant du mauvais. Les commandements détachés de Celui qui les incarne parfaitement sont impraticables et peuvent effectivement devenir liberticides. Ceci ne les disqualifie pas pour autant, bien au contraire (!), mais cela nous engage, lorsque nous les dé-fendons, à témoigner aussi du Christ en paroles et en actes, témoigner de cet amour de tout notre être auquel nous sommes appelés et pour lequel nous sommes faits par-dessus tout
(cf. Dt 6,5).
Père Pierre Labaste