Dimanche 12 mars 2023 – 3e dimanche de Carême – Année A
Messe à Notre-Dame de Clignancourt avec les scrutins de catéchumènes
– Ex 17, 3-7 ; Ps 94 (95), 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9 ; Rm 5, 1-2.5-8 ; Jn 4, 5-42
D’après transcription
Homélie de Mgr Laurent Ulrich, archevêque de Paris
Frères et Sœurs,
Aujourd’hui, dans la liturgie, c’est le temps de la crise de confiance, le temps des questions, le temps de la mise en cause même, de Dieu. Nous l’avons entendu dans la première lecture, les membres du peuple de Dieu qui étaient dans leur pérégrination fatigante dans le désert, dans leur sortie d’Égypte et dans l’attente de la Terre promise, ils ont soif et ils récriminent contre leur chef, leur chef Moïse. Mais vous voyez que Moïse lui-même se retourne contre Dieu, et il dit : Qu’est-ce que je vais faire ? Les voilà complétement révoltés. Le temps de la crise de confiance c’est quelque chose qui peut nous marquer nous, c’est un temps réel de la vie des hommes dans la société politique, dans les entreprises, dans la vie de l’Église aussi, dans toutes sortes d’organisations, dans les familles aussi quelquefois, bien sûr, on perd confiance dans ceux en qui on avait mis sa confiance, dans ceux en qui on croyait. Et voilà même que vous voyez – je pense par exemple dans les situations aussi de troubles personnels quand on vit une séparation très douloureuse, un deuil – parfois on en vient à accuser Dieu de nous persécuter. Tout cela c’est donc bien naturel.
Et le texte de l’Exode nous dit : Il est possible, quand on est croyant, d’être fâché contre Dieu. Il est possible d’exprimer sa colère contre lui. Il est possible de lui dire : Où es-tu vraiment en ce moment où je suis en grande crise, dans une grande souffrance ? Est-ce que tu fais vraiment quelque chose pour nous ? Les Hébreux le disent d’après le livre de l’Exode. C’est donc possible d’être avec des questions et des interrogations, des doutes et des souffrances que l’on exprime devant le Seigneur. On a le droit de le faire, la Bible semble bien ne pas l’interdire. Mais, voilà que Dieu répond et dit à Moïse : Ne craint pas, tu n’as pas encore exploré – et quand il dit tu c’est à Moïse mais c’est à tout le peuple, à chacun de nous – toutes les ressources de l’amour que j’ai pour toi, dit Dieu. « Va frapper le rocher, il en ressortira de l’eau pour le peuple ». Tu n’as pas encore éprouvé tout à fait jusqu’au bout jusqu’où va l’amour de Dieu pour toi. Il y a tant de ressources dans l’amour de Dieu qu’elles sont inépuisables. Tu as l’impression d’être oublié, tu as l’impression d’être maltraité, d’être persécuté, mais non, tu passes par une épreuve qui est réelle et que je connais, dit Dieu. « Et je te le dis, continue, avance sur le chemin, tu découvriras des trésors encore plus grands de l’amour du Seigneur pour toi. »
Voilà la première réponse que nous entendons dans les lectures d’aujourd’hui. Sans que l’on soit en colère contre Dieu, on peut être aussi en question. On a le droit de discuter avec lui, de dialoguer, de l’interroger, de lui dire : Je ne comprends pas tout ce qui m’arrive, je n’ai pas accueilli encore toute la compréhension du mystère de ta présence au milieu des hommes, et il me reste bien des questions. Il y en a une, dans la lettre aux Romains par exemple. L’apôtre dit : est-ce qu’il était bien nécessaire que Jésus souffrît et mourut de la façon dont il est mort, de la façon violente dont il est mort ? Est-ce que c’était bien nécessaire pour nous sauver ? Est-ce qu’il ne pouvait pas le faire autrement ? Est-ce que cela n’aurait pas été aussi facile à Dieu de venir nous sauver et de nous débarrasser de tout le mal qui occupe notre vie personnelle et la vie du monde ? Est-ce qu’il était nécessaire d’avoir ce sacrifice violent, sanglant sur la croix ? On a le droit de se poser aussi cette question. Et dans la réponse que l’apôtre Paul donne aux Romains, aux chrétiens de Rome, et qui est du même genre que dans le livre de l’Exode, et cette réponse c’est : Jésus est celui qui est allé jusqu’au bout et qui a donné tout lui-même, y compris dans une mort violente, pour nous montrer que Dieu désire le salut de tout homme. Il est prêt à aller jusqu’à la déchéance la plus grande de l’humanité pour montrer que dans toutes les situations, il se trouve présent et désireux de nous tirer de là où nous sommes, des impasses dans lesquelles nous nous mettons, des violences auxquelles nous cédons, quelles qu’elles soient et de quelque que violences qu’elles soient.
Et puis il y a des questions peut-être plus anodines d’une certaine façon. Quand on lit l’évangile d’aujourd’hui, on entend cette question des apôtres, des évangélistes, on entend l’évangéliste Jean nous dire : Les Juifs ne parlent pas aux Samaritains. Et on se dit et alors pourquoi Jésus est-il allé à la rencontre des Samaritains ? Il aurait pu s’en dispenser, ce n’était pas la peine d’aller chercher des difficultés. Mais si, il a le désir d’aller écouter ce que disent d’autre que ceux qu’il connait bien. Ceux qu’on ne fréquente pas. Ceux qui ne disent rien parce qu’ils sont à côté et ils se savent marginalisés. Ceux qui ont des interrogations, et alors là je pense aux catéchumènes, ceux qui étaient plein de questions et qui se disent : à qui vais-je les poser ? Eh bien, Jésus se présente sur leur chemin et leur dit : Tu peux me poser des questions. Tu peux parler avec moi. Tu peux écouter ce que j’ai à te dire. Et j’ai à te dire quelque chose d’important, c’est que le Salut, l’amour de Dieu que je viens annoncer n’est pas seulement fait d’abord pour ceux qui sont rassemblés et uniquement pour ceux qui sont rassemblés dans l’Église, pour le peuple de Dieu choisi, pour les Juifs. Il est fait aussi pour ceux qui marchent à côté de l’Église, ou qui sont tout simplement dans le monde et qui n’ont jamais entendu parler de moi. Mais le salut est fait aussi pour vous, les questions que vous avez, vous pouvez trouver réponse en vous approchant du Christ. Voilà ce que dit l’évangéliste en parlant de cette Samaritaine. Jésus aurait pu se passer de traverser la Samarie et de rencontrer des gens avec lesquels les Juifs n’ont pas de rapport, mais au contraire, il a voulu rencontrer les gens qui sont loin, qui sont plein de questions et qui ne savent pas à qui les poser. C’est tout à fait extraordinaire que cet amour de Jésus le porte à la rencontre de tous, c’est tout à fait remarquable.
Saint Augustin, dans un commentaire que certains d’entre nous ont pu lire aujourd’hui, dit : « Pourquoi est-il passé par la Samarie ? Parce qu’il avait soif de la foi de cette femme. » Il avait envie de rencontrer cette femme pour entendre les questions et les réponses qu’elle a dans sa vie. Et pour lui dire : Tu peux me faire confiance. Jésus était venu chercher de l’eau, et finalement il était surtout venu chercher une rencontre. Alors vous, catéchumènes, vous savez ce que c’est, et vous êtes heureux d’avoir pu rencontrer Jésus.
Il y a une deuxième question que peut-être nous pouvons nous poser. Nous avons entendu cette parole de l’évangile : « La femme, laissant là sa cruche, va à la rencontre de ses amis et rechercher ses voisins du village de Sychar d’où elle était venue pour puiser au puits de Jacob. » Vous avez remarqué ce « laissant là sa cruche » ? Qui veut dire : Laissant là son souci personnel. Elle était venue avec ses interrogations au puits. Elle était venue avec ses questions, avec ses soucis, avec ses peines probablement. La peine de ne pas être bien acceptée des autres, étant donnée sa situation conjugale. La peine d’être mise de côté. Elle portait cela comme un poids, et voilà que la parole de Jésus lui permet de ne même plus aller chercher l’eau au fond du puits. Elle oublie ses soucis, elle oublie ses peines, elle oublie ses interrogations, ses questions, peut-être sa peine d’être mise à l’écart. Elle oublie cela, et elle repart toute joyeuse parce que Jésus lui a communiqué l’envie de dire aux autres. Jésus lui a communiqué l’envie d’avoir soif aussi de la foi des autres, c’est très important.
Nous sommes là aujourd’hui avec toutes ces questions, et nous entendons le Seigneur dire : « Tu n’as pas encore exploré jusqu’au bout toutes les ressources de mon amour. »
Alors, au milieu du Carême, au milieu des soucis que nous portons, au milieu du souci que peut-être nous avons pour ce monde dans lequel nous sommes, qui ne semble pas toujours très inquiet spirituellement, qui ne court pas dans les églises, qui ne cherche pas. Peut-être que nous nous interrogeons aussi : Pourquoi il y a-t-il tant d’indifférence religieuse ? Ou bien nous entendons le Seigneur dire : Cela n’est jamais fini de la découverte de Dieu et de son amour pour tous.
Accueillons cette bonne nouvelle des paroles d’aujourd’hui que nous venons d’entendre. Et accueillons avec nous les catéchumènes qui cherchent à entendre la parole du Seigneur et l’assurance de son amour pour tous.