32e dimanche du temps ordinaire
Feuille d’information paroissiale du dimanche 6 novembre 2022
La fin de vie : une paroissienne témoigne
Deux ans après le décès de mon père en 2001, ma mère a été diagnostiquée Alzheimer. Il n’était plus question pour elle de rester vivre toute seule dans leur grande maison en province, loin de ses enfants. La fratrie s’est concertée. Que faire ? Lui trouver une bonne maison, de retraite s’entend ? Sans réfléchir ma réponse a jailli : « la bonne maison, ça sera chez moi à Paris ». Ma décision était prise, mais je ressentais le besoin d’en parler à un prêtre. – « Prenez votre maman chez vous, me dit-il, vous aurez beaucoup de joie »
Si j’avais su que l’accompagnement, jour et nuit, de ma mère allait durer 19 années, me serais-je engagée dans cette aventure tout en exerçant mon métier d’éducatrice auprès d’adolescents fugueurs ? Sans hésiter, je dis oui ! même si le parcours a été jalonné de renoncements à ma vie privée, de fatigue et parfois de découragement. A bout de force, il m’arrivait de m’enfermer dans les toilettes pour sangloter. J’évacuais les tensions et j’en appelais à Dieu. Une fois les larmes séchées, je reprenais courage. La joie n’était pas loin quand je voyais ma vieille maman réconfortée, une fois passée la peur d’être perdue, abandonnée. « Tu es qui, toi ?» « Je suis ta fille, maman » « Il est où mon mari ? » « Il est déjà chez le Bon Dieu, tout va bien pour lui, ne t’inquiète pas. » La nuit, lorsque le silence et l’obscurité se faisaient angoisse, elle appelait, paniquée « Y a quelqu’un ? » Et moi de me lever d’un bond, de lui parler doucement, de la rassurer avec un baiser sur le front.
Les années passant, ma mère devenait de plus en plus dépendante jusqu’à devenir grabataire et complètement aveugle. Cristina, l’employée co-équipière, et moi-même avons dû user de beaucoup de patience, d’amour et d’un grand respect pour lui faire sa toilette, examiner la moindre rougeur sur sa peau qui aurait pu annoncer un début d’escarre, lui donner à manger à la petite cuillère en prenant garde aux fausses routes. Les rôles s’inversaient. Maman se laissait faire en toute humilité.
Tout au long de notre compagnonnage, nous nous sommes encouragées mutuellement. Il nous fallait tenir car le chemin était parfois escarpé, épuisant à parcourir. Mais Dieu merci, les moments douloureux étaient entrecoupés de moments lumineux : quand le prêtre venait lui donner l’onction des malades ou venait dire la messe, alors qu’on la croyait perdue dans son monde d’Alzheimer, elle était présente. Son visage devenait radieux, elle était aux anges ! Et je l’étais aussi…
A la toute fin de sa vie, son visage s’est fermé. Je pouvais y lire la gravité de quelqu’un qui, dans le silence, se concentre sur ce qui va advenir.
Et un beau jour, à ses 99 ans, le Seigneur est venu la chercher sans que l’on s’y attende. Tout s’est passé très vite. J’étais à ses côtés. Je l’ai prise dans mes bras, j’ai posé mon front contre son front et je lui ai murmuré à l’oreille des paroles rassurantes, consolantes. Avec Cristina nous avons prié à son chevet pendant qu’elle s’en allait. Maman est partie en paix et je garde précieusement dans mon cœur cette paix partagée.
Colette Bruhl (D’après un témoignage fait aux enfants du catéchisme)