Beaucoup d’entre vous ont connu Jean Merlin. Il logeait dans un studio 42 rue des Poissonniers et il a vécu toute son action dans le quartier.
Il était né à Grenoble Le 1° Novembre 1931 dans une famille bourgeoise. Ses parents étaient négociants en cuirs et peaux. Son frère ainé est toujours vivant. Un accompagnement psychologique a guéri Jean d’un bégaiement. Il a fait (plus ou moins facilement) des études conclues par une licence de droit.
En 57 il va effectuer en Algérie ses 28 mois de service militaire. Ses camarades disent son franc parler, son opposition à la torture, sa popularité auprès des gamins de la rue.
Une fois libéré, il monte à Paris. Il entre sur concours au bureau de l’aide sociale du XVIII (le bâtiment à gauche de la mairie). Il y travaillera jusqu’à sa mort. Il aura bientôt la fonction de chef de service. Très documenté dans tous les domaines du droit, il formait ses jeunes collègues et des hommes politiques venaient le consulter. Par sa science et son humanité il était devenu particulièrement compétent pour résoudre toutes les situations inextricables et secourir les plus malheureux : les handicapés, les sans domicile fixe, les sortant de prison ou les habitués à la prison. Il ne se contentait pas de les secourir Il les connaissait, il les aimait, il les abordait dans la rue, allait les voir à l’hospice de Nanterre, à la prison de Fleury Mérogis. Dans son service on l’appelait « Jésus-Christ ».
Son père était anti clérical, sa mère chrétienne. Lui, n’avait connu dans son enfance qu’une courte préparation à la première communion, mais il était devenu chrétien de tout son cœur, de toute son âme. À la demande des prêtres de Notre-Dame de Clignancourt il accepta de devenir diacre. Il a été ordonné en 1980 « pour vivre le ministère de la charité, de la prière et de la parole » avec sa paroisse.
Cette mission correspondait à son être profond. Depuis l’origine, il ne pouvait se contenter d’être un travailleur social compétent et consciencieux. Il créa « l’association Clignancourt » pour compléter le travail qu’il effectuait dans le cadre légal au bureau d’aide sociale. C’est avec cette association qu’il créa la première domiciliation pour les S.D.F. et les sans papiers. A sa mort il y avait 1000 inscrits. Il y en a aujourd’hui je crois quelque 2500. Le bureau est sur le boulevard Ney. Son association organisait aussi la distribution de repas pour ceux qui n’ont rien. Cette action a son prolongement encore aujourd’hui dans les locaux de N.D. De Clignancourt.
Il ne se contentait pas de cette action au service des plus démunis. Il était aussi militant syndicaliste à CFDT, pour travailler à la défense de ses collègues travailleurs sociaux et surtout à la valorisation de leur travail.
Comment était son coeur ?
Il aimait Jésus. Mais l’intimité de cette relation restait son secret. Il priait longuement. Il se livrait à l’adoration du saint sacrement. Participait fidèlement au partage d’Evangile à la Maison Verte. Se nourrissait des écrits de Jean de la Croix et Thérèse d’Avila, ainsi que des Pères de l’Eglise. Son bréviaire était sacré. Toute sa conduite était animée par l’amour de Jésus.
Il donnait tout. Un jour en se rasant devant sa fenêtre, il voit dans la rue un homme qui titube. Il descend, l’accoste, le relève, le conduit au restaurant le plus proche, lui offre un petit déjeuner royal. Un autre jour une femme, sans rien réclamer, lui parle de sa facture d’électricité grossie par les retards de paiement. Le lendemain il lui envoie toute sa paye du mois. Une nuit, il accueille chez lui un clochard épuisé et le fait dormir dans son lit, se réservant le plancher.
A l’Eglise, il prêchait longuement, (trop disent certains,) avec chaleur et toujours en faveur des pauvres et de la charité, secouant les chrétiens, leur manque de générosité, de solidarité… « C’était un prophète. Un Amos ».
Il aimait la peinture et la musique.
Il n’était pas parfait ni toujours facile. Sa générosité était quelquefois imprudente et irréaliste Il livrait à ses chers pauvres les locaux que l’administration mettait à sa disposition. D’où imprudences, désordres, bagarres, pétitions des voisins. Et même dans son association, tous ne pouvaient le suivre dans ses audaces marquées d’inconscience. Il aurait voulu que tous soient comme lui. Les saints sont des trublions, des empêcheurs de vivre en rond, le monde leur est inadapté.
Son corps avait été façonné par son âme. Il était maigre. Il était pauvre. Il a gardé pendant onze ans la même gabardine. Il était humble, ne se mettait jamais en avant, ne disait jamais du mal de personne. Il était légèrement voûté. Dans ses déplacements, il paraissait être absorbé en lui même, et en Dieu.
Il est mort à l’hôpital Bichat, à 63 ans le 14 janvier 1994 d’une occlusion intestinale traitée trop tardivement. Il est inhumé à Pont de Claix, devant ses Alpes natales.
Il a fait des disciples. Son exemple a suscité chez plusieurs, une vie d’engagement au service de pauvres, comme professionnels ou bénévoles.
C’est une militante communiste de ses collègues qui a la première réclamé qu’il soit proposé à la béatification. Le procès est en cours.