Notre-Dame de Clignancourt
Le dimanche 11 septembre à 11h
A la messe, on ne connaît généralement pas l’opinion politique de son voisin. C’est peut-être mieux ainsi. Dans nos communautés et plus largement dans l’Eglise, se croisent toutes sortes de gens qui viennent pour « écouter la Parole de Dieu » (Lc 15,1) et qui, comme les publicains et les pêcheurs de l’Evangile, peuvent avoir des manières de vivre ou de penser qui nous agacent. Certains sont trop à gauche ou trop à droite ; d’autres peuvent être un peu racistes, un peu machos ou un peu profiteurs. Sur le plan écologique, il y a dans l’Eglise des climato-sceptiques ou des antispécistes. D’autres – nous peut-être – sont incohérents et disent aimer l’Evangile sans agir selon ce que Jésus demande. Cela nous agace. Mais il n’empêche que tous « viennent à Jésus pour écouter sa Parole ».
Et ce que nous constatons en vivant à l’intérieur de l’Eglise se retrouve aussi dans les critiques qui sont formulées contre les chrétiens. On entend « Jésus, d’accord ; l’Evangile, très bien ; mais pas les chrétiens qui sont une bande d’hypocrites ».
Comme les scribes et les pharisiens de l’Evangile, on peut trouver choquant que toute cette « bande de bras cassés » puisse être accueillie par le Seigneur, qu’ils s’approchent de lui et que Jésus partage son repas avec eux : « Le Seigneur Jésus est bonne poire de se commettre avec eux. » Aux pharisiens et aux scribes agacés, Jésus propose une parabole composée de trois histoires. Nous avons entendu les deux premières (la brebis perdue et la pièce perdue). La troisième c’est l’histoire que nous connaissons bien du fils prodigue ou plutôt des deux fils. Or, le trait commun de ces trois histoires, c’est cette phrase que le texte répète trois fois : « réjouissez-vous avec moi car ce qui était perdu est retrouvé. » (Lc 15, 6 ; 9 ; 23 et 32).
Au centre de tout, il y a la joie du père de retrouver son fils, la joie de la femme de retrouver sa pièce et la joie du berger de retrouver sa brebis égarée. C’est le cœur. Voir cela nous fait comprendre que dans le projet de Dieu, le plus important n’est pas la perfection mais la communion, la communion autour de Jésus (puisque « tous viennent pour écouter sa parole ») ; et une communion avec des hommes et des femmes qui sont loin d’être parfaits.
Cette communion à un prix : le prix de la longue recherche du berger, le prix aussi pour le troupeau de l’attente dans le désert, le prix de toute l’agitation de la femme qui retourne sa maison pour trouver sa pièce. Cette communion a un prix que la parabole nous permet de qualifier d’excessif. Il est excessif parce que la fête que le bon berger organise parce qu’il a ramené sa brebis, et plus encore celle que la femme donne parce qu’elle a retrouvé sa pièce d’un denier (même pas un jour de salaire) les conduit à dépenser bien plus que la valeur de cette brebis ou de cette pièce qu’ils ont retrouvées. C’est le caractère excessif de la fête qui fait comprendre l’importance de cette communion retrouvée. Au terme ne le savons que le prix de ce rassemblement sera celui de l’offrande de Jésus le Fils éternel qui donnera sa vie « pour rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés (Jn 11, 52).
Retenons donc que pour Dieu la communion est plus urgente que notre perfection. Pour Dieu la communion et plus importante que toutes nos justices rationnelles, rentables et raisonnables. (Nous voyons bien en ce moment comment certains groupes de nos sociétés s’attaquent de manière tendue et impatiente à des inégalités –certes réelles – aux dépends de la communion et de l’unité.) La communion n’est pas l’aboutissement d’une justice parfaite. Elle est le prix de la patience du bon berger, du travail de la femme, de la miséricorde du Père et du sacrifice de Jésus qui offre sa vie.
Pour finir, on pourrait tirer une petite conséquence politique pour caractériser la place des chrétiens dans le monde. Les hommes peuvent se rassembler autour des veaux d’or, comme on l’a entendu dans la première lecture (Ex 32, 7-14). A l’époque des Romains on disait « du pain et des jeux » ; Aujourd’hui tous peuvent se rassembler autour de la fête, du divertissement et des loisirs (le prochain mondial de foot au Qatar…) Mais la vraie communion de tous ne peut se faire qu’autour de Dieu, car lui seul est capable de n’oublier personne. Concrètement, cette communion profonde va se faire autour de Jésus, Dieu avec nous, l’Emmanuel ; et autour des chrétiens unis à Jésus qui sont son corps en ce monde.
L’Eglise est le ferment de l’unité de tout le genre humain. Même si les syndics de copropriété où les pouvoirs publics sont plus qu’utiles, l’unité profonde de nos immeubles et de nos quartiers se fait autour de nous, pauvres petits chrét iens bap tisés ; l’unité se fait grâce à nous si nous voulons bien recevoir cette mission et comprendre que le Seigneur nous en donne la grâce tout simplement. Par notre baptême, nous pouvons avoir un cœur assez grand pour tout tenir, même les pêcheurs, pour garder courage devant la bêtise, devant la violence, devant les incohérences du réel et la tristesse du monde. Nous pouvons tout tenir parce que Dieu tient tout et nous donne son Esprit.
L’Eglise est placée au milieu du monde non pour préserver sa place, comme les 99 brebis refermées sur leur petit communautarisme. Mais pour tenir la communion de tous entre eux. Les chrétiens d’Orient le soulignent souvent : leur diminution est un signe de fragilités de leurs communautés mais leur absence fait surtout perdre à ces sociétés disparates toute leur unité.
Dans la deuxième lecture, Paul s’émerveille de ce ministère de la communion qui lui a été donné : « moi aussi j’étais capable – je suis capable – d’être vraiment violent et diviseur. Et pourtant Dieu dans sa miséricorde m’a chargé de cette mission de rassembler : « voici une parole sure : le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver pour rassembler les pêcheurs et moi aussi je suis pêcheur. Mais il m’a sauvé pour que je participe à sa mission. » (1 Tm 1, 15)
P. Stéphane Duteurtre